lundi 2 février 2015

Massacre 2




Résumé : Bon ça commence !

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Les vieux mariés n'étaient pas contents de voir arriver le journaliste venu tout exprès raconter un bonheur si touchant, une magnifique aventure humaine, une exemplaire fidélité qui avait affronté un demi-siècle sans une vague. Un demi-siècle ? Tu parles ! Marcel avait été cocu avant même son mariage. Son aînée, Jeannine, était venue au monde alors qu'il croupissait depuis dix mois au fin fond des sables au sud de Tamanrasset ; où il s'enfonçait peu à peu dans la bière, et d'autres choses ici indicibles.

De la lignée de marmots, il y eut peut-être un ou deux rejetons de son sang... peut-être, oui, puisqu'ils louchaient, comme lui. Et cela tout le monde le savait dans le village. Alors, même si chacun admet que les journalistes sont des menteurs, la ficelle était un peu trop épaisse. Et la perspective de présenter les mariés comme un couple modèle était plus qu'embarrassante, elle était insupportable aux époux. Aussi Germaine et Marcel refusèrent d'abord de prendre la pose pour la photo. La fille aînée insista, aidée par la cadette et le benjamin. La fête tournait vinaigre. Balthazar en attendant que ce différend familial se vide, vidait verre sur verre à la buvette du camping. Puis la clameur se tut, il y eut comme un vide. Tous ces vides étaient des abîmes. Enfin, sous la pression de leur descendance hasardeuse, les époux plièrent.

Et l'on fit la photo, sourire figé.

Le marié voulut donner la pièce au journaliste comme on donne à un domestique. Balthazar refusa et fila, ivre, et seul. Seul, plus encore que les époux qui se faisaient la gueule avant même que les langoustines froides et les œufs en gelée soient servis. Et lorsque la pièce montée arriva, toute la noce était fâchée. Ah le beau dimanche que ce fut!

Balthazar enchaîna avec une course cycliste organisée autour de l'Hyperbouffe centre commercial à néons froids. Le commentateur hurlait dans une sono saturée : « prime ! prime ! » pour aiguillonner les pédaleurs hors d'haleine « prime du magasin « la belle chaussure », prime de 20 F ! » Heureusement il y avait du rosé à la buvette, et Balthazar y passa un agréable moment en observant la grassouillette femme (à chignon) du premier adjoint qui faisait des grâces au directeur de course, avant d'aller remettre un affreux bouquet au vainqueur, un pauvre type qui demain se retrouverait à la chaîne dans la Fabrex, l'usine de tringles à rideaux. Le contremaître lui dirait en passant « bravo pour hier » et il serait fier, si fier... Avant d'être licencié la semaine suivante car, voyez-vous les actionnaires ont des appétits qui nous échappent et ( bizarrement) ils sont peu sensibles aux exploits sportifs qui ne rapportent rien d'autre qu'un morne bouquet de glaïeuls et la bise de l'épouse d'un adjoint, fut il premier . D'ailleurs ce bouquet, le vainqueur n'avait personne à qui l'offrir, sa femme étant parti avec un Algérien beau et fin qui murmurait dans sa langue des poèmes de Mahmoud Darwich.






A SUIVRE.

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