jeudi 12 février 2015

Massacre 9




9

Résumé : Je ne sais pas si c'est bien d'écrire à jeun. J'ai tout essayé, je n'ai pas encore trouvé la bonne formule ... disons le bon degré.

Le temps passa comme il sait le faire, mine de rien, avec ce petit air fourbe que le mois de mars distille perfidement. Mi figue, mi raisin. Balthazar ne publia pas une ligne sur les ambitions d'Albert Ichon. Il savait que ce genre de crapule ne vit que de l'air qu'il brasse. Ne pas parler d'Ichon c'était le meilleur moyen de l'asphyxier, de le faire souffrir. La crapule n'était pas dupe, elle appela le journaliste

_ Sachez que je suis un ancien de la Légion et que ce n'est pas un merdeux de scribouillard comme vous qui va m'emmerder.

_ Je vous emmerde quand même. Je suis un ancien parachutiste d'infanterie de marine et ce n'est pas un légionnaire de mes deux qui va me faire peur. Vous ne le méritez pas mais cette France propre dont vous parlez avec votre sale bouche, elle vient aussi de là, de ce poème de Blaise Cendrars un ancien légionnaire lui aussi, je vous le récite de bonne mémoire :

Les années s’écoulent comme des nuages
Les soldats sont rentrés chez eux
A la maison
Dans leurs pays
Et voilà que se lève une nouvelle génération
Heu... bla bla... Heu...
Des petits Français, moitié anglais, moitié nègre, moitié russe,
Un peu belge, italien, annamite, tchèque
L’un à l’accent canadien, l’autre les yeux hindous
Dents, face, os, jointure galbe, démarche, sourire
Ils ont tous quelque chose d’étranger et sont pourtant bien de chez nous
Au milieu d’eux, Apollinaire, comme cette statue du Nil, le père des eaux,
Étendu avec des gosses qui lui coulent de partout
Entre les pieds, sous les aisselles, dans la barbe
Ils ressemblent à leur père et se départent de lui.
Et ils parlent tous la langue d'Apollinaire.




_ Blaise Cendrars ? Un Suisse ! Hurla Ichon. Vous voulez m'impressionner avec un Suisse ? J'm'marre ! Vous êtes foutu Balthazar. Je vais frapper le premier avec une force dont vous n'avez pas idée !
_ Merde ! il a laissé son bras droit en Champagne ! En 1915 ! Merde alors !

En manque d'inspiration Balthazar ajouta cette merveilleuse réplique :

_ Et moi je sais assassiner les sentinelles par derrière.

Ce qui ne veut rien dire mais fait peur quand même.

_ Et moi j'ai des appuis dont vous n'avez pas idée, je suis prêt à tout et vous n'allez pas tarder à vous en rendre compte ! Je vous conchie !

_ A moi la coloniale ! Hurla Balthazar qui avait 2, 8 g, vu qu'il était 11 h 48.

La secrétaire se leva et se mit au garde-à-vous... mais de cela Balthazar n'était pas sûr parce que, parfois, elle chassait les mouches.

L'autre raccrocha sans piper mot.

Quelques jours plus tard, les amis d'Albert Ichon, ceux qui avaient été entrevus au café des arts ( voir épisode 4 qu'on peut relire aisément en tournant les pages dans l'autre sens) montaient un comité de soutien et envoyaient un communiqué de presse. Pas un mot dans le “Courrier de la République”, le journal qui abreuvait Balthazar en alcool de tout horizon, mais il est vrai qu'en échange le journaliste nourrissait les pages du journal. Seule la radio locale – molle et terne comme d'habitude - en parla. Heureusement elle n'était pas écoutée. Albert Ichon annonça une conférence de presse. Balthazar ne s'y présenta pas : pas de chance pour Albert Ichon il y avait à la même heure ce qu'on appelle une Catherinette. La Catherinette est cette jeune femme de 25 ans qui coiffe le chapeau de célibataire ( pas de vierge ! de célibataire : ne pas confondre !). Le chapeau est fabriqué par ses collègues. Il est d'ordinaire jaune et vert avec des symboles posés dessus, ils représentent l'activité de l'atelier. On appelle le journaliste. Il fait une photo et on boit un coup . C'est un bon moment. C'est aussi un bon moyen d'entrer dans les entreprises où le journaliste ne va jamais ; ces ateliers sordides d'éviscération de porc, ces fabriques minables de pantoufles, ces manufactures médiévales de tringles à rideaux. Il y a mille sujets d'articles à faire sur les conditions de travail et l'arrogance des patrons. Mais les directeurs départementaux trouvaient cela vulgaire de parler des humbles. Ils interdirent donc la couverture des Catherinettes. Qu'importe quand une consigne était donnée : c'était l'assurance que Balthazar ne la suivrait pas.



A SUIVRE LUNDI

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