lundi 29 juin 2015

La jouissance du monde 9 ( II)




Que celui qui a soif, boive


Nous faisions une sieste grasse, emplie de viande d'ours et de champignons à pieds bleus ; l'orage s'est abattu sur notre abri.
La pluie, le déluge, a versé en cascades. La toiture fraîche a tenu, mais soudain...
Soudain, un pan entier du cul de loup s'est affaissé. Il faisait encore jour. Le tonnerre nous avait éveillé, mais nous étions encore dans ces strates fluides : pas au plérôme encore et pas sur terre non plus. Dans cet entre-deux ravissant qui doit-être celui de l'enfant qui ne sait pas encore s'il est mâle ou femelle, s'il est lui-même ou sa mère. Il ne sait pas s'il existe.
L'effondrement nous arracha à ce rêve éveillé, à cet instant béni. Il peut arriver qu'on en saisisse l'extrême pointe les jours de veille absolue, mais ceci est très rare et c'est une autre chose difficile à exprimer si vous ne l'avez pas connue. Vous êtes dedans et dehors à la fois. Au monde et pas de ce monde. Celui qui a vécu cela ne l'oublie jamais.
 Donc la paroi s'est affaissée et nous vîmes une cache, alors révélée.
Une sorte de petite excavation est apparue et dedans : deux bouteilles. Seulement deux bouteilles. Elles avaient été cachées là par des hommes du temps ancien, avant que le monde devienne ce « jouir » sauvage.
Nous avons ouvert la première. ALCOOL. Puis la seconde …ALCOOL encore. ALCOOLS brutaux dans lesquels baignaient deux vipères. Alors nous sommes devenus différents. C'était la première fois que nous ingérions une substance venue du temps d'avant.

L'alcool révèle-t-il le tréfonds des choses ou les maquille-t-ils ? Je crois que l'alcool dit la vérité pure et que souvent elle est insupportable. On préfère alors écarter d'une main ces évidences acérées et revenir à la morne et paisible vie des bêtes. Nous la connaissions déjà cette vie, Amogh et moi, Absalom. Nous en savions tous les contours et ce confort de bovin qui ( cela devenait une soudaine évidence) ne mène à rien. Nous aurions pu ne pas saisir cette folle rudesse, nous aurions pu attendre que tout reprenne sa place.
Mais nous avons préféré foncer dans le mur « trafiquer dans l'inconnu » comme avait dit le cher poète.  
( A Suivre).

1 commentaire: