lundi 3 août 2015

La jouissance du monde 29 (II)









Lipaz aime beaucoup les pommes de terre. Et elle me donne un baiser par patate. C'est un jeu que nous avons inventé.

C'est un beau jeu que j'aime bien et je gagne toujours. Plus précisément je triche et je gagne.

Lipaz est toute pâle, son nom est inscrit sur la liste de son immeuble. Elle est la première de sa famille à partir. Sa mère reste avec son petit frère, et comme son grand frère fait partie de la police juive du ghetto, lui ne partira jamais, ou alors le dernier.Elle me serre les mains et commence à pleurer. Je l'embrasse dans le cou et sur les yeux. Son sel c'est ma vie.

Alors j'ai fait un truc. Je suis allé dans son immeuble le soir, seul. J'ai vite trouvé un jeune gars qui n'a pas mieux demandé que de me donner son nom. Car je vais partir avec Lipaz. Je ne veux pas que les nazis l'emmènent. Je pars avec elle. Je n'ai rien dit à ma mère. A personne. Cela n'a rien d'héroïque. L'amour se moque bien des héros. De toute façon je sais qu'un jour aussi je verrai mon nom sur une liste. Alors... plus tôt... plus tard.


Au matin quand je suis arrivé sur la place où se déroule l'appel, j'ai vu sa silhouette svelte. Je me suis approché tout doucement par derrière, j'ai mis mes mains sur ses yeux et j'ai dit " c'est qui ?". Elle était heureuse. Il y avait du monde, elle a amorcé le geste d'un baiser, mais il y avait tant de monde, qu'elle m'a juste caressé la main. Elle ne m'a rien demandé, elle savait que j'étais là pour elle, ou plus précisément avec elle.

(A Suivre)

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