mardi 11 août 2015

La jouissance du monde 34 (II)







Craquante de boue, ma nouvelle peau était celle du serpent. Les ongles de mes pieds avaient poussé. Des griffes. Il m'arrivait de surprendre une harde de biches. Et je lisais dans leurs yeux la frayeur. Non pas la peur du prédateur, mais celle, plus vive et plus cruelle, du monstre.

Je m'étais accompli.

Hébété, affamé, seul, animal perdu. Plus perdu qu'un animal. Je sentais les vents, je savais la lune admirée des nuits entières. J'entendais la rumeur des frondaisons et le "frissoulis" (comme dit Blaise) des sources lointaines, les ébats des écureuils, les tapages des lapins, les murmures, les plaintes, les harmonies, les sabbats, les bruissements, les gémissements, les frôlements.

J'ai mangé des chauves-souris cueillies dans les grottes comme des fruits, et des œufs de serpent pondus dans le sable chaud des lacs, et des oisillons haut perchés croqués dans le concert affolés des parents. Ah quelles jouissances !

Je dévorais vivant des lapereaux au gîte. Et je suçais longuement des tiges d'angélique et l'âcre jus des chicorées sauvages. Je ne parlais jamais. Je fredonnais des airs juifs, alangui très haut dans les branches des sapins. Je taillais des silex brutaux et sans pitié.

Je n'aimais pas le feu.....................................................

Je fécondais la terre, laissant dans un trou ma semence perdue, ainsi qu'un sorcier papou.......................

"J'étais enveloppé dans mon dieu".

(A Suivre)


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