mardi 2 août 2016

Ils arrivent



Dans une heure, peut-être moins, ils viendront. Ils me pousseront contre le mur et me mettront en joue. Ils m’ont tendu ce papier et ce crayon avec une indifférence qui m’a troublé. Il n’est pas facile de dire combien vous me manquerez. Je suis calme. Ai-je mal fait en m’engageant dans l’insurrection ? Peut-être si j’avais été plus sage serais-je parmi vous ce soir ? Il est terrible de n’avoir qu’un crayon, une feuille de papier et des minutes devant soi. Je n’ai guère envie de prononcer l’une de ces phrases très belles qui font le tour des souvenirs. D'ailleurs je n'en ai pas en tête.

Je reprends le crayon, c’est trop bête tout de même. Je n’ai pas peur, mais je ne sais comment faire. On n’apprend jamais aux hommes à écrire leur dernière lettre.

Je ne sais pas si notre lutte aura un jour servi à quelque chose. Je pourrais, vous dire que j’ai combattu pour vous, pour votre beauté, pour votre douceur. Ce n’est pas entièrement vrai. J’ai pris les armes par défi.
Et vous serez seules dans vingt minutes.
Je reprends encore ce crayon abandonné après l’avoir tourné longtemps entre mes doigts. J’ai pensé une seconde froisser la feuille et ne rien écrire du tout. La littérature n’est d’aucun secours, hélas. Et la poésie, qui fut si fidèle jusqu'alors sonne comme une cloche fêlée. Plus rien donc ne vient, que les pas, tout à l’heure, de la sentinelle.

Vous me manquerez atrocement, et aussi le lent bercement des feuilles au-dessus du toit, et le soleil sur le carrelage, et Bach, et les croissants et des retours la nuit sous les orages horizontaux.

J’ignore encore en cet instant si tout cela avait un sens, je veux dire ces combats. Si un jour mon nom figure sur une plaque, n’y allez pas. Ne venez pas sous les drapeaux déposer de ces gerbes aux fleurs coupées court. Je ne dis pas cela par humilité, mais parce que je ne sais pas si tout cela avait un sens. Je crois être un peu courageux, mais est-ce que cela a un sens aujourd’hui ?

Je vous laisse, je vais ranger mes affaires pour m’occuper l’esprit.

C’est à dire que je ne possède rien, alors me voilà de retour. Je vais écrire jusqu’à la dernière limite pour n’avoir pas à me relire..............

Dans ma cellule je ne vois que le ciel qui est d’un bleu sans couleur. Ou plutôt un "cassé bleu" J’entends un chien au loin, un petit chien certainement avec sa façon qu‘il a de japper haut perché. J’ai gravé sur les murs le nombre de jours que j’ai passé ici : 78. Mes engelures sont douloureuses. Je n’ai pas faim, bizarrement. Un peu froid. Je viens de me gratter la tête tondue. J’ai les ongles sales et un peu de barbe. Je ferme les yeux et j’ expire, c’est très agréable. Votre dernier colis, je l’ai reçu il y 20 jours.
Ils arrivent.

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